C’est mon po

C’est mon po – c’est mon po – mon poème
Que je veux – que je veux – éditer
Ah je l’ai – ah je l’ai – ah je l’aime
Mon popo – mon popo – mon pommier

Oui mon po – oui mon po – mon poème
C’est à pro – à propos – d’un pommier
Car je l’ai – car je l’ai – car je l’aime
Mon popo – mon popo – mon pommier

Il donn’ des – il donn’ des – des poèmes
Mon popo – mon popo – mon pommier
C’est pour ça – c’est pour ça – que je l’aime
La popo – la popomme – au pommier

Je la sucre – et j’y mets – de la crème
Sur la po – la popomme – au pommier
Et ça vaut – ça vaut bien – le poème
Que je vais – que je vais – éditer

Le chien à la mandoline
Éditions Gallimard, 1965

Ce poème était un des textes des “Passeurs de poèmes” sur le site du  Printemps des Poètes en 2009.

Nous y revenons. On trouvera facilement sur Internet de nombreuses informations sur Raymond Queneau (Voyez L’Orée des rêves ou Wikipédia).


L’illustration est un autoportrait que nous empruntons au blog de Pascal Oudot.

Peut-on aussi vous conseiller cet extrait de quelques minutes où Pierre Dumayet dans l’émission de télévision “Lectures pour tous” du 10 mars 1965 interroge le poète, précisément sur le recueil Le chien à la mandoline ? Queneau y lit C’est mon po. Sur son visage, le discret sourire du désespoir. Merci à l’INA de nous donner ce trésor.

Relisant le texte, on est d’abord frappé par l’irrévérence du sujet, et du ton. Un poème, cette forme supérieure de l’écriture, produit du talent humain, est comparé, mis sur le même plan (ça vaut bien, v. 14) qu’une pomme ; banal produit naturel, qui vient sans peine. Et il y a le ton du poème, certes quatre strophes de 4 vers très réguliers (soit 16 vers en tout), mais coupés chacun en trois, très régulièrement, et semblant allègrement sautiller jusqu’à la fin. Cependant, si l’on compte, on s’aperçoit que cette structure ternaire est continuée dans le détail : il s’agit de 3 fois 3 syllabes et qu’on aboutit à 16 vers (parfaits) de 9 syllabes. La lecture anonnée mais chantante de la table de multiplication nous le dit : 3 fois 3 = 9. C’est une quantité inhabituelle en poésie française. On connait les octosyllabes ou les décasyllabes. Des vers de 9 pieds, comment dit-on ?
Il y a une perfection formelle que l’on trouverait aussi dans le fruit (mais plutôt de base 4, ne coupe-t-on pas la pomme en quartiers ?) et c’est bien une valeur équivalente, mais Queneau –écrivain- nous dit aussi que le poème est un objet littéraire remarquable, unique dans sa perfection et non multiple comme les fruits qui couvrent le pommier.
Cet objet est d’abord un désir (je veux, v. 2), mais à la fin il y a un résultat (je vais, v. 16). Il y a comme une nécessité de l’écrire : depuis le début on a ce mouvement irrépressible comme un éternuement (a – a- atchoum). Comme l’arbre donc, qui produit des fruits parce que c’est la loi de la nature ?
Mais même la pomme aimée par le poète vient accompagnée de sucre et de crème : c’est la recette des pommes au four ; même simple, c’est une cuisine. Le poème, aussi, est une cuisine qui paraît (paraît seulement) simple.
Mon maître de poésie catalane, Carles Hac Mor, qui citait le poème de Queneau, savait que tout n’est pas poésie. Sans doute, il y a ce besoin (popo, v. 4) impérieux de parler de tout, comme l’arbre commun doit donner ses fruits. Et aussi de tout aimer, à commencer par le plus ordinaire. Mais le résultat mérite d’être proclamé (éditer, v. 2 et v. 16) car il est voulu.

C’est simple comme un jeu, mais vital. Un peu auparavant, Queneau avait écrit ce petit texte :

Bien placés bien choisis
quelques mots font une poésie
les mots il suffit qu’on les aime
pour écrire un poème
on ne sait pas toujours ce qu’on dit
lorsque naît la poésie
faut ensuite rechercher le thème
pour intituler le poème
mais d’autres fois on pleure on rit
en écrivant la poésie
ça a toujours kékchose d’extrême
un poème

L’instant fatal
Éditions Gallimard, 1948

Un jeu, mais vital.

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