La chatte blanche

Écoutons la mélodie.

C’est La chatte blanche d’Augusta Holmès. La chanteuse mezzo-contralto Xenia d’Ambrosio l’interprète ; au piano Yoan Héreau (enregistrement à Paris, 4 décembre 2013, durée 3’43). Le texte est de la compositrice même.

Aux sons menteurs d’une harpe illusoire
Dans un palais de songes aux tours d’ivoire
Tu dormiras sans souci de ta gloire
Car la fée Blanche effeuilla de ton front
Parmi les chants, les parfums, les caresses
Le cœur noyé sous l’or des fauves tresses
Tu subiras les suprêmes ivresses
Et ta pensée et ta force mourront !
Et des roses de feu fleuriront tes paresses
Et pour toujours les paroles traîtresses
En miaulements très doux résonneront
Au coeur noyé sous l’or des fauves tresses :
“Miaou ! Miaou ! Miaou !
Emporte moi, Beau fils de roi !
Miaou ! Miaou ! Miaou !
Adore moi ! caresse moi !
Miaou ! Je suis si belle !
Miaou ! Et si fidèle !
Et vous serez toujours mes seules amours, et vous aurez ma foi !”

Quelquefois les compositeurs ont préféré écrire eux-mêmes le texte de leurs mélodies pour y associer étroitement leur musique. C’est le cas ici. Augusta Holmès était connue à la fin du XIXème siècle. On lira avec profit la notice que lui consacre Wikipédia. Cette compositrice a fréquenté les plus grands. Son père était irlandais et elle exprime son amour douloureux pour ce pays dans des œuvres nationalistes comme La chanson des gars d’Irlande en 1891, ou Irlande, (1882) son poème symphonique ou encore ce Noël d’Irlande de 1897 (voir Gallica pour la partition), dont voici la couverture.

Augusta Holmès était la filleule d’Alfred de Vigny (certains disent qu’il est son père biologique).
Si elle exprime ses idées avec de la force et comme de la virilité, elle sait aussi dire la douceur, la tendresse. Ecoutez sa Sérénade printanière (1893), partition sur Gallica, chantée ici par le baryton Bruno Laplante à Québec le 9 décembre 2003, au piano Maurice Laforest (durée 3’11).
Lisez le texte qu’elle avait écrit :

Hier comme aujourd’hui, ce soir comme demain,
Je t’adore !
Quand je vois ton regard, quand je frôle ta main,
C’est l’aurore !
Qui donc nous avait dit que le monde est méchant,
Que l’on souffre,
Que la vie est un pont qui tremble, se penchant
Sur un gouffre ?
Où donc sont les ennuis, les erreurs, les dangers,
Les désastres ?
Avril gazouille et rit dans les tendres vergers
Fleuris d’astres !

Le sombre hiver a fui ; le radieux printemps
Nous délivre.
Viens mêler à mes pleurs tes baisers haletants ;
Je veux vivre !
Nos coeurs sont confondus, nos âmes pour toujours
Sont unies ;
Nous avons épelé le livre des amours
Infinies !
Et je ne vois plus rien que l’éclair de tes yeux
Pleins de fièvres…
Viens ! je veux soupirer les suprêmes aveux
Sur tes lèvres !…

Comme femme, elle comptait peu ; la société laissait aux femmes une place subalterne. Ainsi ce tableau de Renoir, très connu, représente, nous dit-on, “les trois filles de Catulle Mendès“. On peut le voir au Metropolitan Museum à New York. Les trois filles, Huguette, Claudine, et Hélyonne, sont les filles d’Augusta Holmès.

Le préjugé est partout.
Mais la musique triomphe.
L’hebdomadaire L’univers illustré du 19 janvier 1895, publiait cette estampe d’après un dessin de Paul Destez :

Sans doute, sous la baguette du chef d’orchestre, Paul Taffanel, l’harmonie règne.
C’est un univers masculin.
Vous regarderez l’image et verrez  “l’auteur” ,  “Madame Holmès” .
Elle donne vie à la musique.

Les Parisiens, s’ils savent se promener avec curiosité, trouveront la place Augusta Holmès dans le 13e arrondissement. Ce n’est pas évident (mais on peut en savoir un peu plus en regardant cette notice dans un blog ami). C’est dans un quartier neuf, près de la BNF. On a gardé une machine ancienne qui capte les eaux de la Seine, et de sa porte noire sort un dragon, éternel et moderne :

Nous ne sommes pas loin du quartier oriental. La sculpture s’appelle La danse de la fontaine émergente, dernière oeuvre de Chen Zhen, avant sa mort en 2000 et terminée (en 2008) par sa compagne, Xu Min.

Revenant à la mélodie La chatte blanche, on pense aussitôt à Madame d’Aulnoy.
Une vie complexe et des contes pas toujours simples.

On peut se demander s’ils sont toujours supportables pour de jeunes enfants. Ainsi le dénouement, certes heureux, de La chatte blanche, est précédé d’une scène horrible, difficilement supportable quand on aime les chats.

Augusta Holmès a choisi certains contes pour une série de mélodies, parues en 1893 chez Heugel.

Les auditeurs, adultes, entendent cette image d’un amour parfait et éternel.

Ils sont prévenus : dès le premier vers il entendent le mot “menteur“.
Augusta Holmès joue avec cette promesse fallacieuse.
Les auditeurs ne sont pas dupes.
On peut rêver.
Puis on revient sur terre.

 

[De nombreux éléments contenus dans ce billet proviennent d’articles que j’ai écrits pour le bulletin Écoutez ! de l’Académie Francis Poulenc. En 2019, le thème choisi par l’AFP, était “les compositrices”.]

 
CB

duetto

Bon. C’est de l’italien. Le diminutif de duo. On dit aussi duetino.
Le duo des chats de Rossini, de son vrai titre Duetto buffo di due gatti, (soit Duo humoristique de deux chats), souvent donné en bis à la fin d’un concert, est une parodie du duo d’amour. Deux sopranos échangent leurs
miaous. Toujours langoureux, ils se griffent et se réconcilient. Écoutons Séverine et Marie-Cécile du Chœur et Orchestre des Grandes Écoles en 2017 lors d’un répétition dans une église. Plus rien n’est sacré on dira (voir ce qui est fait de l’autel) ; mais la musique si. Cela fait rire mais c’est écrit, et bien.

Rossini n’est pas vraiment l’auteur de ce duo ; c’est une compilation en 1825, par l’anglais G. Berthold, notamment de passages de son opéra Otello.

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Une jeune fillette

Lundi dernier, sur France Musique, Été classique matin, fort éclectique, était consacré à Sainte Geneviève du Mont et au Panthéon.


Il y avait, au début de l’émission, quelques variations sur Une jeune fillette. Écoutons cette chanson à nouveau, ici dans l’interprétation de Gaël Liardon (enregistrée en 2012, dans le CD Maudit Printemps).

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Sonate pour violoncelle et piano

Claude Debussy mourait il y a un siècle.

Pendant l’été 1915, à Pourville près de Dieppe, il composait sa Sonate pour violoncelle et piano en ré mineur (CD 144). Elle a été créée à Londres à l’Aeolian Hall le 4 mars 1916 par C. Warwick Evans et Ethel Hobday et sa première à Paris a eu lieu le 24 mars 1917 avec Debussy et Joseph Salmon.
La Sonate a été dédiée à Maurice Maréchal qui, venant du front, lui a rendu visite le 17 janvier 1917. “Après l’audition, Debussy se met au piano et rejoue la sonate avec Maréchal, indiquant soigneusement toutes les nuances désirées.” (Luc Durosoir, p. 309)

On trouve de nombreuses interprétations sur Internet.
Pour ce billet écoutons au milieu des grésillements l’enregistrement fait par Maurice Maréchal, Robert Casadesus au piano, chez Columbia (1930), en cliquant ici pour le 1er mouvement (Prologue) et pour les mouvements 2 (Sérénade) et 3 (Finale).

Une interprétation plus récente (et en une seule fois) est celle (un clic SVP) du violoncelliste québécois Stéphane Tétreault en juin 2011 à Moscou au XIVe Concours International Tchaikovsky, au piano Natalia Ardasheva.

 

 
[Le portrait de Claude Debussy est une photographie faite à Pourville en 1904. La source en est Gallica. On lira Deux musiciens dans la Grande Guerre chez Tallandier en 2005, sur Maurice Maréchal et Lucien Durosoir (notes de Luc Durosoir).]

as I cannot forget

I want him to have another living summer,
to lie in the sun and enjoy the douceur de vivre
because the sun, like golden rum in a rummer,
is what makes an idle cat un tout petit peu ivre
 
I want him to lie stretched out, contented,
revelling in the heat, his fur all dry and warm,
an Old Age Pensioner, retired, resented
by no one, and happinesses in a beelike swarm
 
to settle on him – postponed for another season
that last fated hateful journey to the vet
from which there is no return (and age the reason),
which must soon come – as I cannot forget.

 

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chants d’oiseaux

Destoupez vos oreilles

Déjà dans ce blog, nous avons écouté le Consert de différents oyseaux d’Etienne Moulinié (billet du 20 mars). Voici d’autres oiseaux.

De Clément Janequin (vers 1485-1558), Le chant des oyseaulx qui date de 1537, au cœur de la période angevine du compositeur. Les paroles sont des onomatopées essayant de transcrire ce langage si subtil :
Frian, frian, frian, frian, frian, frian, frian, frian,
ticun, ticun, ticun, ticun, ticun, ticun,
qui la ra, qui la ra, qui la ra,
huit, huit, huit, huit, huit, huit, huit, huit,
fereli fy, cy ty oy ty oy ty ot ty, trr,
tu, tu, tu, tu, tu, qui lara, qui lara,
ticun, ticun, ticun, ticun, ticun,
coqui, teo, teo, teo, teo, teo, teo, teo, teo, teo, teo,
tar, frian, frian, frian, frian, frian, frian, frian,
tycun, tycun, tycun, turry, turry, turry, quiby.
Trr, qui lara qui lara,
Et huit, huit, huit, huit,
quoi, quoi, quoi, quoi, quoi, quoi, quoi, quoi,
qui lara, ticun, ticun, ticun, coqui, coqui, coqui,
tar, tar, tar, tar, tar, fouquet, fouquet, quibi, quibi,
tu, tu, tu, tu, tu, fouquet, fouquet,
fi, ti, fi, ti, frian, frian, frian, frian, fi,ti, tr,
qui lara, qui lara,
huit, huit, huit, huit,
tar, tar, tar, tar, tar, tar, tar, tar,
trr, trr, frr,trr, trr,trr, trr, qrr, qrr, qrr, vrr, vrr, frr, vrr,
frr, frr, frr, frr, frr, frr, frr, frr,

Fuyez, regretz, pleurs et souci, pleurs et soucy,
Car la saison l’ordonne, fuiez, regretz, pleurs et soucy.
Le chant des oiseaux chasse la douleur. L’œuvre est interprétée ici par l’Ensemble Clément Janequin  : Dominique Visse (contre-ténor), Michel Laplénie (ténor), Philippe Cantor (baryton), Antoine Sicot (basse) et Claude Debôves au luth.

Puis, de Vivaldi, (1678-1741), le concerto pour flûte et cordes en ré majeur Il Gardellino (en italien moderne, cardellino signifie chardonneret).

On entend Jed Wentz (flûte traversière), Manfred Kraemer (violon) et Balázs Máté (violoncelle) ; Musica ad Rhenum, dirigé par Jed Wentz. Ce concerto date de 1728 ou avant.

Presque contemporain, voici Le coucou, (1735), très connu, de Claude-Louis Daquin (1694-1772), ici, tellement mystérieux, dans l’enregistrement de Trevor Pinnock (probablement en 1983). On peut aussi l’écouter dans le clavecin virtuel de Ernst Stolz (en 2016) ou au piano par Phillip Sear.

Bien sûr, nous allons vers El cant dels ocells. C’est un chant populaire catalan, un chant de Noël qui énumère tous les oiseaux (déjà un catalogue) qui viennent célébrer le nouveau-né. Il y a 32 oiseaux (peut-être plus, peut-être moins) ; nous ne les nommerons pas tous ; cela va de l’aigle (àliga en catalan) au grand-duc (duc). Ce chant rassemble les Catalans, c’est plus qu’un hymne national, il fait venir des larmes.
Les programmes l’indiquent quelquefois comme étant l’œuvre de Pablo Casals. Le grand violoncelliste (son prénom véritable c’est Pau, et le mot pau signifie paix en catalan) l’a harmonisé et le jouait toujours au début ou à la fin d’un concert ; ce chant représentait pour lui l’aspiration d’un peuple à la liberté. Le 13 novembre 1961, à la Maison Blanche, invité par le Président Kennedy, il l’a joué en bis (Mieczyslaw Horszowski au piano).

Le premier couplet dit :
Al veure despuntar
el major lluminar
en la nit més ditxosa,
els ocellets cantant,
a festejar-lo van
amb sa veu melindrosa.

Sa traduction est difficile. Le mot mielleuse, souvent employé pour dire la voix des oiseaux, ne convient guère, car il est péjoratif pour un lecteur d’aujourd’hui ; nous lui préfèrerons suave ou délicate. (Mais laissons ces considérations lexicographiques pour le gat amagat.)

A la demande de la chanteuse Marina Rossell, le poète Salvador Espriu a composé en 1984, sur la mélodie, un “nouveau chant des oiseaux” (Nou cant dels ocells). Le recueil où ces vers sont publiés est Per a la bona gent, le dernier paru du vivant du poète.
Le poème n’est plus religieux mais continue à évoquer la Catalogne. L’étude du texte, et sa “laïcisation”, relève aussi du gat amagat.  Il y a 8 strophes dont 3 seulement sont chantées :

Escolta cants d’ocells,
el vent en els penells
de la claror, no gaire
aixec d’ales al blat,
d’on ve, just desvetllat,
el bleix primer de l’aire.

En el meu aspre cor,
intacte, ple tresor,
l’enyor de l’oreneta.
Ja no combat l’esglai
ferint puntes d’espai,
corba subtil, sageta.

Esbat ordits de fum.
Xop d’esplendors de llum,
nu sota l’or del dia,
senyorejant camins,
segueix somnis endins:
et guia l’alegria.

Terminons par la quatrième pièce du Catalogue d’oiseaux (1956-58) d’Olivier Messiaen (1908-1992). L’oiseau inspirateur, longuement écouté en Roussillon par le compositeur, est le traquet stapazin, Oenanthe hispanica à gorge noire.

Traquet oreillard. Famille des Muscicapidés. Ordre : Passériformes

Il est ici joué par le pianiste Håkon Austbø.

Consert de différents oyseaux

Nous écoutons cet air. Le luth, d’abord hésitant, nous entraîne. Il y avait un ballet dont c’était le début. Peu importe si rien ne bouge devant nos yeux, nous sommes pris par la danse. Étienne Moulinié (1659-1676) a choisi ce texte que l’on attribue à son contemporain, Salomon de Priezac, Sieur de Saugues :

Il sort de nos corps emplumez
    Des voix plus divines qu’humaines
    Qui tiennent les soucis charmés
    Et font dormir les peines

    Nous vous appellons à tesmoins
    Que si nos voix font des merveilles
    Nos luths ne pénètrent pas moins
    Les coeurs que les oreilles

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