travail

Je voulais, au début de ce blog, saluer le 1er mai.
Je voulais une image pour ce jour. En voici une. Elle a presque un siècle. Bien des choses ont changé, en particulier là où ça se passe…
Il y a peu de temps, dans la catégorie « gat amagat » du blog, où l’on trouve des billets en langue catalane, j’ai donné le titre « Xèspir » à un article sur l’artiste Miquel Clivillé (1897-1943). Regardez-le. Indépendamment du texte, les illustrations valent le détour. Aujourd’hui nous resterons un peu sur son « Saint Prolétaire », paru à Barcelone dans Poble Nou Revista le 1er mai 1926.


Clivillé écrivait aussi des articles pour la revue. Il les signait Xèspir, phonétique ironique de Shakespeare (comme plus tard, chez d’autres, voyez Obaldia ou siné). Dans la rubrique « Instants » du 1er mai 1926 précisément, il écrit : « Il y a le travail, l’effort constant, le martyre, jusqu’à la mort, souvent dans des souffrances horribles, pour créer des richesses pour les autres. » Vous trouvez que c’est exagéré ? Mélodramatique ? C’est prémonitoire : Miquel Clivillé était technicien chimiste ; il est mort, en juin 1943, les poumons brûlés par les produits désinfectants, après une explosion dans l’entreprise où il travaillait. Vous trouvez le ton trop religieux ? C’est aussi le langage de la gravure que nous regardons, le Saint Prolétaire, mais c’est une religion au niveau humain.

L’homme a force et puissance. Debout, il est au centre d’une icône du « Manchester catalan » ; c’est le nom qui était donné à Poblenou,
le quartier industriel de Barcelone. Tout cela a bien changé ; aujourd’hui, c’est le 22@, qui se veut une sorte de Silicon Valley urbaine. Les usines textiles sont devenues des musées d’art contemporain, et au quartier ouvrier, les appartements valent maintenant très cher. Les « richesses pour les autres » continuent de remplir des poches… Les cheminées (il y en a 7 sur l’image) ne fument plus, mais on les a conservées pour les montrer aux enfants des écoles et aux touristes lors des « chimney tours ».
Ce quartier était l’œuvre du travailleur ; dans la gravure, circulaire, dense, la ville industrielle est représentée comme une sorte de Jérusalem céleste des peintures religieuses. Comme pour maintenir ce parallèle religieux, des anges sans ailes, des putti nus (parce que le style l’exige) jouent au pied du Prolétaire. Ce géant pourrait tout détruire. Mais c’est un doux, un Saint Sébastien sans les flèches, la tête légèrement de côté.
L’oeuvre exprime un certain optimisme ; Miquel Clivillé croyait au progrès. Il en accumule les symboles ou les signes : KW, TSF, le vapeur, l’avion (bien rudimentaire) dans le ciel et jusqu’aux poissons volants (le quartier de Poblenou est au bord de la mer) qui disent la vitalité du progrès. Les nouvelles formes d’énergie sont symboliquement rappelées, mais la force physique ne suffit pas. La gravure semble dire : « Et maintenant, quoi faire ? » L’ouvrier bâtisseur pourrait tout détruire avec l’outil impressionnant (une masse) qu’il tient dans ses mains.
Miquel Clivillé savait aussi dire son pessimisme. Dans une gravure faite

lors de la mort accidentelle en août 1926 d’un coureur cycliste, Josep Bisbal, il montre que la force physique, aussi, a une fin. « Vers l’infini » comme le dit une borne en bas à droite, peut-être, mais l’image montre aussi que l’échec, la fin, sont possibles. Il est difficile de terminer par cette image négative, mais elle est tellement efficace dans sa simplicité.
Si une lecture superficielle du « Saint Prolétaire » voit une hagiographie, on comprend vite que Miquel Clivillé, tout en exprimant un idéal, n’oubliait pas la présence du réel. Dans la partie basse de la gravure, il y a le monogramme de l’artiste et la date à droite, mais aussi quelques fleurs et beaucoup d’épines.

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