Les ruines dans la forêt

Nous avancions péniblement sur un sentier boueux. Ici et là des flaques mordorées avec parfois un grouillement de tétards. Sur le sol mou, des empreintes animales non déterminées.
Le sentier s’élargissait, le soleil donnait fort, la marche devenait plus difficile.
Puis on nous fit obliquer brusquement sur la gauche à travers bois. Il n’y avait plus de chemin.Nous suivions la progression de la file, en faisant surtout attention où nous posions les pieds.
Le mouvement s’arrêta. On entendait le guide, en tête de la colonne. Il avait sans doute trouvé quelque chose et le commentait, mais sa voix ne portait pas sous le feuillage et les lianes qui descendaient de la canopée. Nous nous rapprochâmes, pour former un demi-cercle autour de lui.


Dans la pénombre on distinguait à ses pieds un large fossé, apparemment sec, mais on n’en voyait pas bien le fond. Vers la droite, le fossé amorçait une courbe et s’éloignait.
Sous nos pieds les branches craquaient encore, puis le silence se fit ; à part la voix du guide, il y avait peut-être un grésillement lointain d’insectes, mais les oiseaux s’étaient tus.
Notre guide expliqua savamment que ce fossé, aujourd’hui en forêt,  était jadis à découvert. Il marquait un établissement humain, peut-être cultuel, bien avant d’être à caractère défensif. A l’origine, quelque chose de contemporain de l’âge du Bronze.
Je ne m’y retouvais plus : l’âge du Bronze ? Où étions nous ? Un ouvrage défensif ? Bien petit apparemment et comment ce fossé de terre aurait-il suffi à arrêter l’ennemi ? Je regardais mieux, scrutais devant moi dans les frondaisons. Les autres sans doute avaient déjà vu, au-delà du fossé, les hautes murailles de pierre bien régulière d’une petite tour carrée de défense.
Je revins sur terre. Depuis le début de cette randonnée, j’étais parti bien loin, au-delà des mers, alors que nous étions au cœur de la forêt de Chinon, emmenés par ce guide expert, devant la ruine insolite du Vieux Châtellier.
Il faisait bien chaud, certes,  et le bois était dense, mais nous n’étions pas sur les contreforts du volcan Turrialba, dans la forêt humide du piedmont (bosque pluvial premontano), au NE du site de Guayabo.
Je n’avais pas croisé les cohortes patientes de mes chères fourmis zompopas, ni les armadillos, tolomucos, perezozos, martillas, pizotes et autres mammifères. Là-bas les oiseaux carpinteros, piapias et chachalacas auraient un instant seulement suspendu leurs chants et repris de plus belle.
J’étais fâché et honteux de voir l’abandon, en cette opulente Touraine, d’un site pas si modeste, qui aurait mérité, d’abord une fouille soigneuse, puis une mise en valeur pour l’offrir à tous.
Bien sûr, point de ces chaussées (calzadas) élaborés, aux pierres plates régulières, carrées (en forma de adoquinas) ; point de ces monticules circulaires, elliptiques ou rectangulaires où se déroulait le sacré et le quotidien des huetares, les ticos précolombiens. Et sans doute, pour un Monumento Nacional connu et protégé, combien de sites plus modestes que Guayabo, noms sur une liste, inaccessibles au visiteur curieux : La Cabaña, Las Mercedes, Najera, Cubujuquí, etc.
Depuis ma table de travail, ma rêverie retourne au fond du bois, vers ces marques modestes ou orgueilleuses laissées devant nos pas, au bout du chemin.
Le curieux pétroglyphe de Guayabo, jadis situé sur la chaussée au S-SE du monticule central, représentant, aux yeux du profane, une sorte de toile d’araignée, est peut-être, comme on l’a écrit, une carte du ciel, il y a 500 ans. Probablement notre Sibylle de Panzoult, il y a 500 ans, en aurait su déchiffrer la magie.

 

 

[Texte terminé le 5 juin 2002 et publié dans Ici Tiquicia, bulletin de l’Association France – Costa Rica, probablement le n°1. BC]

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