Le fantôme de Saint François

 

Un bâtiment a été remplacé par un autre à Vouvray. C’est banal : tout change, tout se transforme… Oui, mais…


Le bâtiment qui a disparu était caractéristique d’une période, les années 30, et le bâtiment nouveau est un immeuble d’appartements, comme il y en a des milliers. C’est l’ancienne école Saint François, construite par Xavier Rohard. L’architecte était mort avant que l’école soit inaugurée, en novembre 1932. Il n’avait que 29 ans. C’était pour lui une œuvre importante. Il y avait mis ce qu’il avait appris et ce qui était à la pointe de l’art, mais avec pudeur et simplicité. Les matériaux, les couleurs, tout était pensé, comme le souligne la carte postale d’époque que son neveu, Dominique Rohard, m’a fait parvenir. Une simple école pour un village campagnard ? Peut-être. Mais d’abord un bâtiment dans l’esthétique de son époque. Après la vigueur et l’exhubérance du style arts déco des années 1925, le style des bâtiments s’était simplifié, épuré ; c’était le cas avec l’école Saint François.
La Semaine religieuse du diocèse de Tours, dans son numéro du 18 novembre 1932, parle de « l’édifice aux lignes harmonieuses » et dit que « le jeune architecte… avait dépensé le meilleur de son intelligence et de son cœur », soulignant bien la modernité résolue et le raffinement de l’œuvre.
Une vue plus rapprochée de Saint François (datant du 9 octobre 2009) montre la simplicité de la façade avec en même temps le raffinement comme d’une épure :

 

 

 

 
Le bâtiment était situé sur un terrain important, donné pour l’installation d’une école catholique. Par la suite, l’ensemble est devenu la propriété de la commune ; c’est sans doute le terrain qui a fait saliver les promoteurs.
On ne parlera pas ici de l’école, établissement d’enseignement. Elle n’a pas bien fonctionné, malgré la succession de candidats pour en prendre la direction, comme le montre leurs dossiers de candidature aux Archives Départementales d’Indre-et-Loire.
L’école ne marchant pas, on a laissé le bâtiment se dégrader. Par exemple, les stores étaient les mêmes 80 ans après l’inauguration… Seule, l’étanchéité du toit-terrasse avait été assurée, par une intervention peu respectueuse, comme on le voit sur les photos. Pendant de longues années le club de troisième âge « Les jeunes d’antan » était logé par la commune dans le bâtiment. On jouait à la pétanque sur le terrain. Au 1er étage il y avait un club de couture mais plusieurs pièces restaient inoccupées.

Une restauration soignée s’imposait et Vouvray aurait pu s’enorgueillir d’un joyau du style 1930. Cela aurait coûté un peu d’argent. On n’en avait pas. Et même, on avait besoin d’argent. Alors la municipalité a choisi le plus facile : vendre.

 

C’était avant les élections municipales de 2012. Il y avait des destinations évidentes pour ce lieu comme cette conférence de Claude Croubois sur Fantômas, le 15 mai 2009, organisée par la Bibliothèque municipale…

 

 

 

 

 

 

Mais pourquoi se lamenter ? On ne fera pas revenir le bâtiment.
En 2015, on voyait encore la photo dans Google map, mais tout avait déjà disparu.
Une vue générale du centre de Vouvray visible encore au 30 juillet 2015 sur le site du Ministère de la Culture, utilise une photo antérieure à octobre 1967 (car on y voit sur la place de l’église, l’orme dit de Sully qui fut déraciné par un tempête à cette époque-là ; on voit aussi, à droite de l’orme, un autre fantôme, celui du bâtiment de Justice de Paix, disparu à la même époque ; c’est une autre histoire, nous en reparlerons peut-être).

Certains, qui ont contribué à cette perte, se disent défenseurs du patrimoine. Le patrimoine est de toutes les époques. Les immeubles de rapport d’aujourd’hui disent bien le monde où nous vivons.

[Ce billet a pour point de départ un article que j’ai écrit pour le numéro 16 du bulletin ça use, ça use, publié le 28 janvier 2017. Le bulletin a été mis en ligne sur le site Internet de Vouvray Patrimoine.]

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