On commencera par cette photo, très connue, de Willy Ronis :
Elle date, je crois, de juin 1957. Je suis peut-être sur cette photo, tout à gauche. En tout cas j’y étais l’instant d’avant. Ce n’était pas facile de grimper tout là-haut, sur la grille. Qu’y avait-il derrière cette grille mystérieuse ? Nous ne l’avons jamais su. C’est l’atteindre qui comptait.
Longtemps après j’ai écrit ce texte, terminé le 31 janvier 2006. Il s’appelait Enfances à Belleville, mais j’avais préféré Enfances, comme dans les chansons de geste. Le voici :
nous prenions notre élan
derrière nous
la rue
dévalait parfois
un torrent
charriait brindilles
et barques de papier
le balayeur bavardait
avec Madame Rose
aux bras potelés
nous prenions notre élan
pour nous suspendre
aux grilles
en contrebas
du grand escalier bifide
pas assez de place
pour tous
deux ou trois dégringolaient
et repartaient à l’assaut
tous très fiers
anciens acteurs de cinéma
disions-nous
certains avaient gardé
les ballons de couleur
après l’envol
du dernier travelling
les accessoiristes
avaient distribué
ce qui restait
nous prenions notre élan
sur la photo
le temps s’est arrêté
le vieux Repos de la Montagne
broyé par les pelleteuses
et ses joueurs de belote
évanouis
nous prenions notre élan
nos cris
joyeux
se sont
tus
La traduction en catalan a été faite au CEC (Centre d’Etudes Catalanes, Paris IV) en mars 2006.
Infàncies
agafavem empenta
darrera nostre
el carrer
a vegades
era una riera
traginava branquillons
i barques de paper
l’escombriaire xerrava
amb la Senyora Rosa
dels braços grassonets
agafavem empenta
per penjar-nos
a les reixes a baix
de la gran escala bífida
no hi havia prou lloc
per a tots
uns quants quèiem a tomballons
i tornavem a l’atac
tots satisfets
vells actors de cine
dèiem
alguns s’havien quedat
els globus de color
desprès d’enlairar-se
el darrer travelling
els attrezzistes
havien repartit
el que quedava
agafavem empenta
a la foto
el temps
s’ha aturat
el vell Repos de la Montagne
enderrocat pels buldòzers
i els seus jugadors de cartes
esvanits
agafavem empenta
els nostres crits
alegres
s’han
apagat
Que tous ceux qui avec moi ont pris part à ce travail : Núria, Sílvia, Fabio, Jordi, Jean-Marc et Sylvain soient ici remerciés.
Je parlerai ailleurs, plus en détail, de cette rue Vilin, aujourd’hui disparue, qui était très chère à Georges Perec (lisez W ou le souvenir d’enfance).
Elle est là dans cette photo que j’ai faite vers 1956 ou 57 :
A travers le grillage, au-delà du terrain vague, le n° 45 où je vivais, c’est cette maison de trois étages, ancien Hôtel du Mont Cenis dit Perec. On voit tout à droite un bout du Repos de la Montagne, au pied du «grand escalier bifide», que Willy Ronis a aussi photographié. En voici la carte :
Dans la rue, sous nos fenêtres, nous avons vu tourner le film Ballon Rouge d’Albert Lamorisse, c’était à la fin de 1955. Sur cette photo du film, derrière Pascal Lamorisse et son ballon, il y a le Passage Julien Lacroix et la barraque où « Saucisson » garait sa voiture avant de partir pour le marché vendre des charcuteries, en habit de paysan normand.
Madame Rose habitait un peu plus bas, sur le côté pair de la rue Vilin, au rez-de-chaussée, en gauche en descendant. Ma sœur l’avait soignée à l’Hôpital St Antoine.
Ces remarques en vrac sont inutiles pour comprendre le poème, mais je ne pouvais pas m’empêcher de les faire.
[Une exposition des photos de Willy Ronis a lieu actuellement et jusqu’au 24 octobre 2017 au Château de Tours. Y figurent les enfants sur la grille de « l’escalier bifide », et bien d’autres vues, (© Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine). Le livre de Georges Perec, W ou le souvenir d’enfance (1975) est publié chez Gallimard dans la collection L’imaginaire. On peut trouver facilement le DVD du film Ballon Rouge, quelquefois accompagné du merveilleux Crin Blanc du même réalisateur. Et on peut revoir le film En remontant la rue Vilin de Robert Bober. Dans un mois, dans un an, le blog reparlera de cette rue.]