dreyt nien

Ce blog utilise trois langues : le français, l’anglais et le catalan. Quelquefois d’autres ; par exemple le précédent billet, consacré à Carlos Poveda, utilisait – au moins pour ses liens – l’espagnol d’Espagne et d’Amérique.
Et là ?

C’est de l’occitan et dreyt nien signifie, disons, pur néant.
Ces deux mots sont dans le premier vers d’un poème de Guillaume IX d’Aquitaine (1071-1127).
C’est le troubadour qui nous intéresse (Guilhèm lo trobador). Ce blog peut parler d’histoire, mais ici, cet aspect du personnage de Guillaume IX, on le trouvera dans des liens. Cliquez sur Wikipédia (en français) ou sur Wikipèdia (en occitan) et vous saurez tout.

Lisez d’abord le poème :

Farai un vers de dreyt nien
Non er de mi ni d’autra gen
Non er d’amor ni de joven
Ni de ren au
Qu’enans fo trobatz en durmen
Sus un chivau

No sai en qual hora.m fui natz
No soi alegres ni iratz
No soi estranhs ni soi privatz
Ni no.n puesc au
Qu’enaisi fui de nueitz fadatz
Sobr’un pueg au

No sai cora.m fui endormitz
Ni cora.m veill s’om no m’o ditz
Per pauc no m’es lo cor partitz
D’un dol corau
E no m’o pretz una fromitz
Per saint Marsau

Malautz soi e cre mi morir
E re no sai mas quan n’aug dir
Metge querrai al mieu albir
E no.m sai tau
Bos metges er si.m pot guerir
Mas non si amau

Amigu’ai ieu non sai qui s’es
C’anc no la vi si m’aiut fes
Ni.m fes que.m plassa ni que.m pes
Ni no m’en cau
C’anc non ac Norman ni Franses
Dins mon ostau

Anc non la vi et am la fort
Anc no n’aic dreit ni no.m fes tort
Quan no la vei be m’en deport
No.m prez un jau
Qu’ie.n sai gensor e belazor
E que mais vau

No sai lo luec on s’esta
Si es m pueg ho es en pla
Non aus dire lo tort que m’a
Albans m’en cau
E peza.m be quar sai rema
Per aitan vau

Fait ai lo vers no sai de cui
Et trametrai lo a celui
Que lo.m trameta per autrui
Enves Peitau
Que.m tramezes del sieu estui
La contraclau

 

Traduction, adaptation, etc. par BC, roturier (mais d’Aquitaine).

Je ferai un poème de pur néant :
      Il ne sera pas sur moi ni sur d’autres gens,
      Ni sur l’amour, ni sur la jeunesse,
      Ni sur rien d’autre.
      Je l’ai composé en dormant
      Sur un cheval.

      Je ne sais sous quelle étoile je suis né,
      Je ne suis ni gai ni fâché,
      Je ne suis ni farouche ni familier,
      Je n’y peux rien :
      Je fus de nuit ensorcelé
      En haut d’une colline.

      Je ne sais quand je fus endormi,
      Ou si je veille si on ne me le dit.
      J’ai failli avoir le cœur brisé
      D’une douleur intime.
      Je m’en soucie comme d’une fourmi,
      Par Saint Martial !

      Malade je suis et je crois mourir,
      Mais je n’en sais rien que par ouï-dire,
      Si je veux j’irai quérir un médecin,
      Et je ne sais lequel.
      Bon il sera s’il peut me guérir,
      Et mauvais s’il échoue.

      J’ai une amie, je ne sais pas qui,
      Car je ne l’ai jamais vue, par ma foi ;
      Elle ne m’a rien fait qui me plaise ou me pèse,
      Et ça n’a pas d’importance.
      Jamais n’est venu ou normand ou français
      Dans ma maison.

      Jamais je ne la vis, et je l’aime beaucoup ;
      Elle ne m’a jamais fait bien ou tort.
      Quand je ne la vois pas, je suis content :
      Je ne l’estime pas plus qu’un poulet,
      Car j’en sais une plus aimable et plus belle
      Et qui vaut mieux.

      D’où elle vient, je ne sais pas ;
      Est-ce d’en haut ou bien d’en bas ?
      Je n’ose dire si j’ai tort,
      Alors je me tais.
      Ça m’attriste qu’elle reste là
      Quand je m’en vais.

      J’ai fait ces vers, je ne sais sur quoi.
      Je les transmettrai à celui
      Qui les transmettra à un autre,
      Là-bas vers le Poitou :
      De son étui pour moi qu’il sorte,
      L’explication.

Poème de néant, mais poème.
L’occitan de Guillaume IX d’Aquitaine n’est pas une langue facile. Le traducteur connaît le catalan moderne (catalan nommé llengua lemosina par Aribau en 1833), mais pour ce poème il s’est aidé d’autres traductions que vous trouverez ici ou . Patrice Guinard, auteur de la dernière traduction dit : “L’ajout fréquent du pronom personnel “je” alourdit et défigure le poème chanté.” Désolé, mais je ne pouvais pas faire autrement. Il fait suivre le texte d’un article dont on vous conseille la lecture. Il y en a d’autres. Sur Guilhem IX de Peitieus (Poitiers, en limousin), notre premier troubadour, vous avez lu la notice de Wikipédia ou celle de Wikipèdia, ou bien celle-ci.

En cliquant ici vous entendrez l’ensemble Tre Fontane interpréter ce poème en 2011.

Et en cliquant ici, vous trouverez plusieurs autres poèmes de Guilhèm lo trobador, avec les traductions qui “appartiennent à la main” d’Alexander Kiriyatskiy de l’Université de Strasbourg.

Le portrait de Guillaume IX provient du manuscrit 12473 fol. 128 de la BNF.

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