amabil gatto

En passant d’une salle à l’autre du Museo di Roma, nous nous trouvons devant ce tableau. Peut-être y a-t-il, la nuit, dans ce musée, un vrai chat circulant sans bruit dans les galeries. En Angleterre, c’est fréquent, et une ligne du budget pourvoit à son entretien.

Cette image arrête le visiteur en silence. Certes on connait une Bastet en bronze et ses cousines momifiées qui accompagnaient les Égyptiens dans leur voyage de la mort. C’est un portrait sur un petit espace rectangulaire, avec, inscrit, un sonnet, comme le texte d’une prière pour l’éternité. Le tableau, peint vers 1750, est de Giovanni Reder (né en 1693), travaillant comme son père Christian, dont il était l’élève, pour la famille Rospigliosi (qui compta deux papes, Clément IX et Clément X). Le poème serait de Francesco Sperandio Bertazzi, abbé et écrivain. Son protecteur, le Prince Rospigliosi, avait demandé que soient mis en musique certains de ses textes. Relisons le sonnet, prélevé sur la toile :

Por un bacio dato da una bella e grande signora
A un gatto

Questo scolpito in tela amabil Gatto
Gustó di bella dea bacio amoroso,
E al vivo poscia fattone il ritratto,
Si tien bien custodito, e assai geloso.

 
Affinchè possa appien serbarsi intatto
Qual Armellin, che vive timoroso,
El acció preso non sia, sen fugge ratto
À stare in bosco, o in luogo più nascoso.

 
Cosi tu’ ancora, o Gatto avventurato,
Serba intatta la bocca e puro il core,
E à colei pensa sol, che ti ha baciato ;

 
E fà che solo a me permetti amore,
Che un bacio scocchi e mi riprendi il dato
Bacio amoroso per temprar l’ardore.

 
sa traduction nous aidera :

 
Pour un baiser donné par une belle et grande Dame à un chat

Cet aimable chat saisi sur une toile
Goûta d’une belle déesse un baiser amoureux
Puis, quand on lui fit son portrait,
Il resta sur ses gardes, très jaloux.

Pour le conserver entièrement intact
Semblable à l’hermine farouche
Qui, pour ne pas être prise, s’enfuit
Dans les bois ou quelque lieu caché,

Toi aussi, ô chat aventureux,
Tu gardes intacte ta bouche et pur ton cœur
Et ne penses qu’à celle qui t’a embrassé :

Et puisse Amour permettre qu’à moi seul
Tu décoches un baiser puis le reprennes,
Baiser amoureux donné pour apaiser l’ardeur.

 
(Traduction par Rémi Cassaigne, mai 2021).
 

La bella e grande signora, hyperboliquement qualifiée de bella dea, c’était Alessandra Forteguera, épouse de don Camillo Rospigliosi. Elle aussi poète à ses heures et aimant les animaux. Bertazzi ne pouvait qu’en dire du bien. Il était payé pour ça et dépendait de la famille. Le Prince Rospigliosi aimait aussi les animaux ; il en a fait représenter plusieurs, ainsi ces “Chevaux près d’un pont“, par Reder aussi.

Le Prince suivait en cela les nobles anglais qui faisaient appel à George Stubbs, quelquefois appelé “le peintre des chevaux”. Ce peintre avait visité l’Italie en 1754 (la même époque que notre tableau) ; dans ses notes, Ozias Humphry nous dit : “to convince himself that nature was and is always superior to art, whether Greek or Roman” ; de retour en Angleterre il avait continué à représenter des chevaux, des vaches, des chiens. Quelquefois même des chats ou plutôt des chatons.

À Rome, dans son palais (le Palazzo Rospigliosi, au Quirinal), le Prince contemplait son étalon Capriolo, peint également par Giovanni Reder et également au Museo di Roma, il retrouvait aussi les chiens l’ayant aidé à “rembucher” quelque dix-cors. Il aurait pu faire représenter une bufala (en français buflesse ou buflonne) dont le lait donne la délicieuse mozzarella. Il aurait pu, hardi, l’embrasser sur le mufle ; à la femme il gatto, mâle de préférence, à lui la bufala aux yeux tendres comme l’Aurore (Homère l’a dit).

Mais revenons au portrait du chat. Nous ne saurons pas comment il s’appelle. Certains disent Armellino mais ne voient pas que sa timidité appelle, dans le sonnet, la comparaison (qual) avec “l’hermine farouche“. Cet amabil gatto n’a pas de nom. TS Eliot nous a appris que “the naming of cats” est une tâche ardue. Le chat du tableau médite et pense à ce secret absolu. Il n’est pas
Plato, Admetus, Electra, Demeter…”
ni “Munkustrap, Quaxo, or Coricopat…”
TS Eliot nous le dit :
His mind is engaged in a rapt contemplation
     Of the thought, of the thought, of the thought of his name:
          His ineffable effable
          Effanineffable
Deep and inscrutable singular name.”

Je pense à mes chats. En allant au bureau, rejoindre cet ordinateur, je  passe devant leur cimetière, dans le jardin. Ce sont Oïkku, Opale, Perleminouze (merci Tardieu), Pirouette, Pimlico, etc. Ils ne sont pas sur une toile, en lin peut-être, sur son châssis, dans une salle de musée, eux. Je pense à Pickwick et je lui donne ce portrait numérique :

Cosi tu’ ancora, o Gatto avventurato,
intelligent, vif, joueur, doux, aimant les autres chats et les enfants.

Posé sur un coussin de soie, entouré de lourdes tentures, le chat du tableau n’est pas très heureux. Le Palazzo Rospigliosi (ici dans la gravure de Giuseppe Vasi en 1754) lui appartient :

Derrière un mur, il y a un giardino secreto. Il aime se réfugier dans ce jardin loin des bruits d’une fête, en 1749 après la victoire sur Berbero Foletto ou comme celle du Ritorno delle mozzatore (ici représentée, naturellement, par Reder) après les vendanges.

Pickwick, par son nom, évoque l’Angleterre. Ce billet, sans cesse, passe d’un pays à l’autre. Pour les Anglais fortunés, l’Italie était l’éden du Grand Tour. Et à l’époque de notre tableau, ils avaient fait venir sur les bords de la Tamise Antonio Canale. Le peintre Canaletto, feignant de voir sur les eaux boueuses du fleuve les canaux de Venise et leurs couleurs vigoureuses en représentant, comme à Greenwich, les palais baroques.

Pickwick. Une fois encore ayant regardé ce portrait amoroso, retournons à Rome ; allons directement à la Pyramide de Caïus Cestius (ici dans la gravure de Piranèse, en… 1748, une des vedute di Roma) :

Aujourd’hui il y a des chats, hébergés dans le confort par une association ailurophile ( et aussi dans le centre, sur le Largo di Torre Argentina, parmi les ruines) ; ici, pas de coussin de soie ou de tenture solennelle, mais de quoi dormir à l’ombre, manger, bondir jusqu’au cimetière “acattolico” et sentir un instant l’absolu, devant la tombe de Shelley. N’avait-il pas écrit “a cat in distress” ? C’était un de ses premiers poèmes. En Italie, plus tard, il fut emporté par une vague.

BC

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