Du polycarbonate dans l’assiette

Une exposition d’œuvres de l’artiste costaricien Carlos Poveda, au Pavillon Charles X du Parc de la Perraudière à Saint-Cyr-sur-Loire, a suscité les réflexions qui suivent. Ces notes ont d’abord paru dans mon bulletin vovreio n° 12 du 22 septembre 2009, puis ont été reprises dans Ici Tiquicia (le bulletin de l’Association Nationale France Costa Rica) n° 11 de décembre 2009. J’en reprends l’essentiel avec un intérêt plus marqué pour la trajectoire de l’artiste.

Les sculptures étaient intitulées Plato pour la plupart, avec un numéro. En effet on voyait des plats, mais remplis d’étranges nourritures ; il y avait là une séduction, mais aussi une provocation.

Quoi de plus banal, de plus universel que l’acte de manger ? En même temps, cette préoccupation constante de chacun est de celles auxquelles on n’accorde souvent qu’un minimum de réflexion. Quel paradoxe !

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noyée

sur la place le vent s’enfuit
le ciel tourne et s’effiloche
dans cette pente aucun abri    
plus bas les voitures dorment
accueil de l’arc vigne et oiseaux

quelques lueurs dans la ténèbre
de place en place chapiteaux
où sagement jouent les renards
pélerins cortège animé
au pied de la ville endormie
et mise au tombeau trop joyeuse

presque invisible dans le gris
sommeille la Belle Babou 
sur l’oreiller tombent trois mèches
ce lobe est encore gonflé
et sur ce torse décharné
jadis s’épanouissaient des seins
ses cuisses larges en marbre gras
ont bien porté plus d’un amant
des mains chastes relèvent un suaire
presque nue mais ce corps offert
ne fait plus venir le désir
de la bouche ouverte les lèvres
rongées par le lupus des pierres
quel cri de jouissance ou d’angoisse
silencieux comme la nuit

on l’a tirée de l’eau dit-on
quel désespoir quel mauvais vent
l’ont emportée lasse et défaite
les cheveux emmêlés la nuit
enfin venue les tourbillons
d’herbes ruisselantes enfin
la nuit minérale les yeux
vers le vide si reposant

je peux fuir une porte est proche
sous les grands platanes obscurs
les brumes légères du soir
déjà apparaissent sur l’eau 
leur nappe avance doucement
un canard traverse si lourd
et s’envole dans ces caillots

tous ces espoirs et tous ces rêves
noir sous tes paupières si blanches

une barque au loin disparaît

 

 


[J’ai écrit ce texte en juin 2008.  Il est paru dans mot perso vovreio #6 du 21 juin 2008. Je voudrais faire quelques remarques, sans me lancer dans l’exégèse de quelque chose qui ne m’appartient plus. D’abord quelques faits, discutables bien sûr. Le gisant de l’église St Denis d’Amboise est un monument classé. Il provient de la chapelle de Bon-Désir (quel nom !) à Montlouis. Il est à Amboise depuis 1896. Il est quelquefois appelé “la noyée de Loire”, et c’est probablement celui de “la Belle Babou”, Marie Gaudin, épouse de Philbert Babou de la Bourdaisière, Trésorier de France. Marie Gaudin avait hérité du château de Jallanges. Elle était la maîtresse du roi François 1er. Je ne sais rien de la vérité des faits.
Je me suis refusé à l’indifférence touristique, et, regardant ce gisant, j’ai trouvé cette vision insupportable. Comme je pense “qu’on peut tout dire”, j’ai écrit ces octosyllabes. Cette “contrainte” m’a protégé. J’ai dû me résoudre, bien qu’occitan, à ne pas compter les e muets en fin de vers (j’aime les prononcer, mais c’est la règle…). Mais je me suis offert une diérèse, j’avais le droit ; je laisse les lecteurs la trouver. La rime, non. Je ne peux pas. Pitié ! Pas de ponctuation et pas de majuscule (à part le nom par lequel ce gisant est connu). Vous entrez dans ce poème comme vous le souhaitez. Il y a des enjambements ; normalement ils doivent vous porter.
Les rêveries induites par l’eau et par un fleuve en particulier peuvent être diverses. Une amie m’ayant parlé d’Ophélie au sujet de l’exposition Millais à Amsterdam, j’ai inclus ces noyées dans mes songeries. Désolé, vous ne trouverez pas dans mon texte le bonheur de la suicidée du peintre pré-raphaélite, ni le sourire ambigu de “l’inconnue de la Seine”.
Je voudrais terminer en citant un autre poème. Honnêtement je le trouve assez mauvais, mais il parle d’un autre gisant, alors il a son intérêt. Je l’ai trouvé dans un numéro acheté récemment de Art et Poésie de Touraine, celui de janvier… 1967. Je ne sais rien de l’auteur qui signe Marie-Thérèse Ronarc’h.

Fontevrault

La reine a long sommeil dans son manteau d’hermine,
Elle attend, elle attend,
Mais les voûtes qui résonnent
Sous la ronde sonore
Du peuple de la nuit
Ne la réveillent pas.
La reine a long sommeil dans son marbre glacé,
Elle attend, elle attend,
Mais ceux qui tournent comme des totons
Ne franchiront jamais les grilles du silence
Et ne réanimeront pas
Ces yeux largements morts ouverts sur les ogives
Pour toute l’éternité.

Je ne sais pas pourquoi j’écris. Quand je lis ce qui précède et que je n’aime pas, j’ai envie de me taire. BC]