— Tu vois il y a du courant.
— Oui, mais c’est loin, vers le milieu de la rivière. Ici, c’est calme.
Des îles séparaient le fleuve. Avec la sécheresse, l’eau était basse. Cela faisait sans doute plusieurs jours : des plantes avaient eu le temps d’y pousser. De loin on aurait dit des bancs de sable, mais en fait c’est tout un monde éphémère qui se trouvait là. Si on attendait, il y aurait peut-être des arbres. Même des bêtes. Il y avait sûrement déjà toute une ménagerie d’insectes. Est-ce qu’il y avait des papillons ? On devrait les apercevoir. Mais il n’y avait pas de fleurs. S’il y en avait, des papillons, c’était pour voir, pour se désaltérer, pour se reposer.
Des branches étaient passées, suivant le courant, et quelques unes s’étaient piquées là. Il y restait quelques feuilles, toutes grises.
C’est vrai, au-delà du banc de sable, on voyait des rides sur l’eau. Ça avançait, obstinément. Pas vite mais obstinément. On apercevait des branches et des brindilles dériver. Ce fleuve n’était pas impressionnant. Il y avait forcément une autre rive, mais on ne la voyait pas, cachée par des îles vraiment couvertes de végétation.
Rayan avait envie de se baigner. Ici, il n’y avait pas de danger mais Martine ne voulait pas. Surtout parce que Paulo ferait des remarques ce soir et ça ne valait pas la peine.
— Maman, je peux aller me tremper ?
Ça y est, pensait-elle. On est bien. Il y a un peu de vent. C’est frais.
Les nuages passent. On a de quoi lire. Pourquoi bouger ? Mais il veut aller dans l’eau.
— Tu as vu. C’est pas permis. Il y a un écriteau : “Baignade interdite”.
— Ouais, mais il est vieux, on peut à peine lire. Il était là avant que je naisse !
— Les gendarmes vont venir et se fâcher.
— Mais non, ils ont autre chose à faire avec toutes ces voitures sur la route derrière nous. Et puis mes copains m’ont dit qu’ils se sont baignés ici la semaine dernière. Et puis je sais nager. Même le maître a dit qu’il ne pouvait pas m’apprendre quoi que ce soit et il m’a laissé faire ce que je voulais pendant les séances de piscine.
— La piscine, c’est une chose ; la rivière, elle coule et puis elle peut monter tout d’un coup. Lis plutôt des journaux qu’on a apportés. Allonge-toi près de moi.
Rayan ronchonna pour la forme. Il prit un magazine, tourna une page et s’endormit aussitôt.
Martine était rassurée. Lire, ce n’était pas ce qu’elle préférait. Elle regarda le ciel. Il y avait quelques nuages qui paraissaient immobiles. Ils dessinaient des caps ; si c’était à la mer, il y aurait des criques et des petites plages, comme en Bretagne l’an dernier. Elle regarda son magazine. Pas vilain, ces robes, mais sans doute trop cher. Elle leva les yeux à nouveau. Les caps commençaient à s’effilocher. Comme c’était calme ! Là-bas, pas si loin, il y avait des gens avec des enfants, on ne les entendait pas.
La semaine dernière, c’était la canicule. Sur cette plage, ici, il y avait du monde. Martine avait vu depuis la voiture, mais elle n’avait pas eu envie d’y aller. Certains avaient apporté un barbecue et pensant à l’odeur de graillon, elle avait eu mal au cœur. Il valait mieux rentrer à la maison et se mettre à l’ombre.
Les plages quand il fait sec, c’est très joli, on dirait qu’elles se prolongent que ça continue très loin, on a envie de se promener. Il paraît que par endroits, le sable c’est comme une croûte au-dessus d’un trou. On marche, c’est ferme comme au bord de la mer et brusquement ça s’écroule, on tombe dans un trou et on se noie dans l’eau ou dans les sables mouvants.
Elle s’endormit dans cette vision de cauchemar. On était si bien à ne rien faire. C’est le bord de l’eau, le ballon sur la plage, les gouttes volent. Plus loin coule la rivière, sa peau ridée s’étale. Elle se réveilla en sursaut.
(à suivre)