Une jeune fillette

Lundi dernier, sur France Musique, Été classique matin, fort éclectique, était consacré à Sainte Geneviève du Mont et au Panthéon.


Il y avait, au début de l’émission, quelques variations sur Une jeune fillette. Écoutons cette chanson à nouveau, ici dans l’interprétation de Gaël Liardon (enregistrée en 2012, dans le CD Maudit Printemps).


En voici le texte :

Une jeune fillette
   De noble coeur,
Plaisante et joliette
   De grand’ valeur,
Outre son gré on l’a rendue nonnette
Cela point ne luy haicte
   Donc vit en grand douleur.

Un soir après complie
    Seulette estoit,
En grand mélancolie
    Se tourmentoit,
Disant ainsi, douce Vierge Marie
Abrégez moy la vie,
    Puisque mourir je doy.

Mon pauvre cœur soupire
   Incessament,
Aussi ma mort désire
   Journellement.
Qu’à mes parens ne puis mander n’escrire,
Ma beauté fort empire,
   Je vis en grand tourment.

Que ne m’a-t-on donnée
   A mon loyal amy,
Qui tant m’a désirée
   Aussi ay-je moy luy,
Toute la nuict me tiendroit embrassée
Me disant sa pensée
   Et moy la mienne à luy.

A Dieu vous dis mon père,
   Ma mère et mes parens,
Qui m’avez voulu faire
   Nonnette en ce couvent,
Où il n’y a point de resjouissance,
Je vis en desplaisance
   Je n’attens que la mort.

La mort est fort cruelle
   A endurer,
Combien qu’il faut par elle
   Trestous passer.
Encor’est plus le grand mal que j’endure,
Et la peine plus dure
   Qu’il me faut supporter.

A Dieu vous dy
   Les filles de mon pays,
Puis qu’en cest’ Abbaye
   Me faut mourir,
En attendant de mon Dieu la sentence,
Je vis en espérance
   D’en avoir réconfort.

[Notes :
haicter : faire plaisir
trestous : tous]

L’auteur en est anonyme. La chanson est parue en 1576 dans le Recueil des plus belles et excellentes chansons de Jehan Chardavoine, dont la page de titre est sur Gallica :


Comme il est dit, les chansons du Recueil étaient déjà connues.
Une autre interprétation, très diffusée, est celle du film d’Alain Corneau  Tous les matins du monde (harmonisation par Jordi Savall). Seule la première strophe est chantée. Dans cet extrait, actuellement disponible, on entend en off, un passage du roman de Pascal Quignard qui parle du compositeur Sainte Colombe. Dans le film, le personnage du compositeur, que l’on voit dans la vidéo, est joué par Jean-Pierre Marielle.

Un article musicologique dans le blog de Pater Taciturnus, nous donne ces interprétations et l’arrière-plan de cet air.
Le thème de la jeune fille mise au couvent de force par des parents qui ne peuvent la doter existait antérieurement. On le retrouve en Italie dans la chanson La monica ou La monaca (La nonne) :
Madre non mi far monaca
che non mi voglio far;
Non mi tagliar la tonaca
che non la vuo’ portar.
Tutt’il dì in coro
al vespr’et alla messa,
e la madr’abadessa
non fa se non gridar,
…che possela creppar
Le texte a certes été publié en 1610 (dans les Canzonette e madrigaletti spirituali rassemblés par Michele Pario), soit postérieurement au Recueil de Chardavoine, mais la chanson était connue depuis longtemps.
Une interprétation est celle de Philippe Jaroussky dans le CD Un concert pour Mazarin (2004). Le chant est a cappella, mais on entend aussi l’Ensemble La Fenice (Jean Tubéry) dans la Sonata a tre sopra la Monica.

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